Besźel et d’Ul Qoma sont deux villes voisines… enfin, pas tout à fait, puisqu’elles partagent par endroits un même territoire. Dans les espaces communs, les habitants de chacune des deux cités sont contraints de s’ignorer les uns les autres, que ce soit par la vue ou l’ouïe. Déroger à cette règle, c’est « rompre », et menacer l’autonomie de l’identité de ces deux villes, donc l’existence même, des deux villes. Et rompre, c’est déclencher l’intervention de « la rupture », police mystérieuse, omnipotente, opérant dans les interstices entre les deux espaces pour dispenser une terrible justice. Lorsque l’inspecteur Borlù de la police de Besźel est appelé pour enquêter sur la découverte du cadavre d’une jeune archéologue, les ennuis commencent lorsqu’il découvre que l’assassinat a eu lieu à Ul Qoma, et que la victime pourrait très bien être au milieu d’un complot menaçant la survie des deux cités.

Outre un scénario « noir » efficace et malin faisant honneur à ses influences autoproclamées du côté de Raymond CHANDLER, le tour de force de ce roman est de parvenir à créer, à partir du destin invraisemblable de ces deux villes, un univers parfaitement crédible, sensible, vivant. En refusant de donner au lecteur une description précise de la manière dont les deux villes s’entremêlent, mais en s’appuyant sur une série de néologismes brillants (« éviser » et « inouïr », par exemple, c’est éviter de voir ou d’entendre un habitant ou un objet de la cité voisine…), China MIEVILLE fait travailler notre imagination à plein régime, ce qui est un véritable délice, et chacun se fera « sa » propre géographie des deux villes. C’est vrai que l’on pense immanquablement à Philip K. DICK, mais cet univers vit sa propre vie, et je l’ai dévoré avidement ! une excellente surprise à découvrir au plus vite.

Yves